mercredi 11 mai 2011

sidi belkacem et ahl bethioua


d'aprés BELKACEM BELHADJ
Depuis un bon moment, les spectateurs avertis et les badauds alléchés lors de la dernière séance attendent avec impatience la suite. Ils sont venus comme décidé par Meddah medjaher. Le dimanche, deuxième jour de cette deuxième semaine du mois sacré, ils attendent. Sûrs de la parole donnée, ils sont là, leur fébrilité réfrénée.L’homme est celui qui domine ses sens, qui sait donner de lui une image sereine,détachée des futilités. L’histoire du meddah est captivante, mais enfin, soyons un peu digne de nos aïeux, les fiers medjahers. Soudain un soupir général, des mouvements ça et là. C’est le maître qui arrive avec le retard qui sied à son rang. Non chalant et grand seigneur, sous son regard luisant de secrets et de savoir, les fronts se font liges, les jambes se plient, on s’assoit à même le sol,là où on était debout. La halka, le cercle, se constitua, aussi parfaite que possible. Chacun sait qu’il en a pour la journée. Encore une journée de vaincue. Braves gens, je suis revenu comme promis. Je vois des têtes nouvelles et j’espère que vous avez eu la charité de les mettre au courant… Des oui s’élèvent en désordre d’un public remuant et curieux, suivi tout de suite de plusieurs “ chut !chut ! ”. Donc, après ce que vous savez, toute une semaine se passa en préparatifs, les chevaux furent bien soignés, les harnachements vérifiés, recousus parfois, les habits de combat sortis, bottes en cuir, bandoulières, fusils, cornets à poudre, musettes de vivres… Meddah medjaher faisait le tour de son cercle magique comme jaugeant les frontières de son règne. Il était roi dans les limites de portée de sa voix, de son verbe,de son geste, avec autant de vassaux assujettis à sa parole. Autant de complices, le temps d’une légende, prêts à le croire, prêts à le suivre dans le dédale des siècles,imbroglio des destins. “ Le grand jour arriva, El Hadj Mohamed, le patriarche, Kbir-eddouar, fit la prière du matin avec les chefs de faction. Tous, sauf El Djazouli à cause de son âge, et Hamdane désigné malgré lui, qui resteront à assurer le quotidien du village et à diriger les femmes et les enfants, tous après des adieux sans fioritures, Dieu est le Maître des destins, tous mirent le pied à l’étrier et s’ébranlèrent en colonne disciplinée vers le levant, vers Mazagran aux environs de Mostaganem. ” Les deux Meddahs meddah medjaher , s’arrêta et scruta ses interlocuteurs, il laissa l’honneur à l’un d’entre eux, de passer avec le chapeau, ce que celui-ci fit avec empressement et zèle. Le volontaire morigéna contre les petites pièces, exigea de tous la participation, sous l’oeil satisfait du maître qui avait disciples et venait de trouver auxiliaire. Voyant que de ce côté, aucun souci n’était à se faire, il fit tournoyer son burnous blanc, inclina son turban sur le front et continua : “ Pendant deux jours, ils avancèrent passant loin des habitations, pour éviter les questions. Ils se sentaient investis d’une mission divine et ne voulaient point en parler aux autres. Taisons les secrets, ils ne nous appartiennent pas. A la fin du premier jour, ils arrivèrent en vue de Koudiat Sidi Mansour, colline du marabout bien connu de la Macta, surplombant la mer et adossée à la forêt. Il y passèrent la nuit. Une nuit bien tranquille mais les voyageurs étaient sur leurs gardes. Des tours de gardes furent assurés, une organisation militaire fut adoptée. Tout combat n’est que ruse est-il précisé dans le Livre. A la fin du deuxième jour, il aperçurent Mazagran juché sur une hauteur, dominant une large baie, un village ramassé autour d’un ribat, relais de voyage. A l’unanimité, ils décidèrent de camper hors de l’agglomération et d’envoyer une délégation à Sidi Belkacem. Sous sa tente, au milieu de l’esplanade ayant une vue générale sur la plaine, le grand Ouali les attendait. Après la bienvenue, le lait, les dattes et le thé, les deux chefs, Hadj Mohamed et sidi Belkacem, entouré chacun des siens, entrèrent dans le vif du sujet. On attendait des gens de bien, des gens qui apporteraient un sang neuf et un courage inébranlable à la juste cause. Le rêve est revenu plusieurs fois, Sidi Belkacem en a parlé à différentes reprises à quelques uns de ses lieutenants. Il ne l’a pas fait en minbar, la chaire, lors de la grande prière du vendredi parce le rêve est un secret, il est destiné à celui qui le voit mais non au public, fut-il croyant et acquis au Cheikh. Mais faut-il avouer, ne put s’empêcher de continuer le ouali, les personnages des rêves étaient sans nom, des croyants fougueux et des cavaliers sans reproche. Dieu est Grand, j’attendais votre venue Avec les miens j’attendais votre venue sans savoir qui vous étiez, il n’y a que allah qui sait. Vous êtes les bienvenus parmi nous qui que vous soyez. Kbir Eddouar se composa une solennité que ne lui connaissaient pas ses compagnons. Il commença et parla à Sidi Belkacem de batailles homériques qui se suivaient, de champ d’honneur permanent. Le Ouali acquiesçait en silence. Il finit par dire : Vous êtes des élus de allah car Il vous a fait voir l’avenir de cette région. Je sais, ne me demandez pas comment, quel sera le lieu de tous les martyrs, le lieu d’affrontements entre croyants et impies. Cela se passera quand nous serons tous morts depuis bien longtemps. Les songes qui te sont apparus font parties du prochain siècle et le Ouali auquel tu fais allusion ce n’est pas moi. Il sera plus fort, plus juste, il sera celui qui laissera votre épopée écrite par ses mains, il sera de la bataille de mezeghrene dans laquelle vos fils ou les fils de vos fils passeront à la postérité. Vous me parlez d’un destin qui me dépasse et qui n’est pas le mien. Sidi Belkacem était d’une humilité qui écrase son homme. Il avait sur les épaules le poids du monde. D’une voix amène, il précisa: ce chef de guerre sera aimé de allah et de son Prophète, il laissera une chronique fidèle de la grande bataille qui se déroulera ici. Mais nous ne serons plus de ce monde. allah est grand. Le guide de Bethioua (hmiane) semblait pétrifié par information, l’ampleur de cette perspective l’anéantissait. Ses camarades avait, chacun, la nette impression du fardeau qui l’oppressait. Trop lourd était le destin quand il se dévoilait un tant soit peu aux faibles créatures que nous sommes. ” Meddah medjaher sur un clin d’oeil fit faire le tour des bourses à son auxiliaire du jour. Le manège fonctionna aussi bien. En une rapide sollicitation, un pécule appréciable passa du chapeau à la poche du raconteur. Il rasséréna d’un geste l’assemblée et continua : “ A la fin Kbir Eddouar hadj mohamed prit la parole pour confirmer tous les dires du ouali. Les rêves concordaient, les desseins de allah sont impénétrables. L’assemblée prit congé et sortit de la tente. Un soleil chaud diffusait une lumière éblouissante sur un paysage prospère, la diversité des cultures et les verdures mettaient un baume au coeur. Sur ces coeurs qui ne savaient plus, qui n’osaient se décider à sauter le pas, à abandonner Bethioua où s’étaient installés les ancêtres il y a deux cent quarante deux ans et venir ici pour recommencer à zéro. Mais si tel est le destin. Les soupirs firent place petit à petit à des acquiescements puis à des décisions. Sauf Benhallou qui était réticent et Hamdoud qui n’a jamais admis l’idée dés le début, les autres s’en remettaient à la Providence. Les modalités furent arrêtés rapidement : les familles qui le désiraient peuvent venir ici et s’établir. Quatre jours après, les voyageurs, ayant bien reconnu le terrain, apprécié le climat, noté la proximité de la mer, convinrent que la région ressemble point par point à la leur, que le village où ils ont laissé femmes et enfants n’est pas mieux que celui-ci. L’idée d’un changement de résidence n’était plus aussi saugrenue qu’il ne paraissait auparavant quand ils suivirent leur chef par pure discipline mais sans trop y croire. C’était quand le père avait autorité sur sa famille, quand sa meïda était dressée pour lui seul, en vis à vis de la table commune où mangeaient les hommes tandis que celle des femmes et enfants était dans une autre pièce plus modeste, plus discrète. La hiérarchie était stricte, la décence était de tous les instants, une cohésion lourde à supporter mais où chacun avait une place à occuper, des limites à respecter, des droits et des devoirs figés et bien connus, de père en fils, de générations en générations. C’était les temps où un père ne pouvait sourire tendrement à son enfant en présence des autres membres du clan. Marque de faiblesse impardonnable. Il se coupait en quatre pour sa famille, mais montrer son affection était indécent. Le clan vivait sur des relations indéfectibles mais bien cachées. La faiblesse était l’apanage des femmes. A elles de pleurer les morts, à elles de consoler les enfants quand ils l’étaient encore. Car dès l’âge de dix ans le garçon intégrait la catégorie des hommes. Dur, insensible au malheur, indomptable au combat, il n’était qu’un élément du clan. Ce qu’il pensait n’avait rien à voir avec ce qu’il faisait, il y allait de la survie de tous. Au départ, c’est par discipline naturelle que ces preux avaient suivi leur Cheikh. Sans se poser de question, ils l’avaient suivi, tous. Désormais convaincus, les uns plus que les autres, ils se forgeaient chacun une décision à exposer à sa faction. Certains étaient pour l’idée de revenir sur ces lieux après avoir vendu la parcelle de la famille, d’autres avaient déjà entamé des négociations avec des familles de Mazagran pour échanger les biens, les terres. Car certaines natifs de ce village voulaient s’éloigner de cette zone de turbulences, de combats incessants, ils avaient assez contribué au djihad, cette guerre sainte, qui coûtait trop de vies et semblait éternelle. Le jour du retour, le ouali donna à Kbir Eddouar un étendard vert avec un croissant doré au coin supérieur du côté de la hampe, c’était le sandjak de ralliement des ansars, des alliés de la cause. Ils effectuèrent un retour en faisant remarquer partout leur sandjak. Dans chaque tribu traversée, ils faisaient savoir qu’ils étaient désignés par allah à travers la vision simultanée de deux grands chefs à des kilomètres de distance. Dès qu’ils eurent dépassé la Macta, des émissaires envoyés par les lieutenants laissés sur place, El Djazouli et Hamdane, vinrent à leur rencontre et les informèrent que toute la région jusqu’aux confins des Ouled Larbi, des Homrs, des Araba, jusqu’aux terres des Ziani, des Bensaïd, tout le monde était au courant de leur magnifique chevauchée, de leur qualité d’élus. Ils étaient un peu les prophètes des temps modernes car, comme vous le savez le dernier des Prophètes est Sidna Mohamed. L’arrivée à Bethioua fut marquée par des fêtes. Ceux qui étaient restés étaient plus acquis à la cause que les chefs et leurs lieutenants. Les compagnons de Kbir Eddouar n’eurent guère besoin d’expliquer ou de convaincre. L’enthousiasme était général. Au contraire, le guide des Benhallou et celui des Hamdoud avaient mal à expliquer leur tiédeur aux gens de leurs factions. L’idée dominante était qu’il fallait répondre à l’appel et partir ensemble pour le mektoub, Incha Allah, si allah le veut. Les moments de liesse firent place à une fébrilité sans pareil, chacun s’activait à être prêt au rôle éminent qui désormais était sa raison de vivre. Les hommes étaient transformés, les femmes n’arrêtaient jamais leurs activités, la logistique se constituait. Les chefs avaient l’air plus que jamais songeurs. Au bout de six mois les factions étaient prêtes à l’exode. On avait entretenu des relations suivies avec ceux de Mazagran qui s’intéressaient à l’échange des terres. Et puisque la région de Sidi Belkacem était beaucoup plus peuplée que la leur, les candidats au départ ne purent répondre à toutes les demandes des gens intéressés par un échange. Ainsi le principal problème, celui des terres, était-il réglé à l’amiable et au mieux des intérêts réciproques. Désormais les gens les plus meurtris de Mazagran pouvaient venir à Bethioua et ceux d’ici, élans neufs pour une guerre ancienne trouveraient équivalent de leurs biens là-bas. Là où les avait désignés le sort, le mektoub. Ainsi Ô gens de Mostaganem, se déroula l’exode entre Mazagran et Bethioua. Les nouveaux arrivés allaient être les héros d’un des plus mémorables combat d’islam en terre du Maghreb, la célèbre bataille de Mazagran relatée par le grand Sidi Lakhdar Ben Khelouf et où fut défait et tué le Comte d’Alcaudète. Une date pour notre contrée, une épopée pour les gens qui ont consenti à émigrer pour se battre à l’ombre de la bannière verte, sous la direction de Lakhal Ould Khelouf et dont les descendants ont introduit chez vous la pratique Aïssaouia, la culture maraîchère. Mazagran où domine toutes les habitations de sa baraka, de sa bénédiction, un Santa Cruz à l’instar des villes d’Espagne et où est enterré Sidi Belkacem Chaïl Allah bih. Où la croix et le croissant se toisent et se disputent les siècles et les pages de l’Histoire. Meddah medjaher fit tournoyer son burnous, il regarda une dernière fois ses adeptes et leur souhaita laconiquement, avant de disparaître, un bon ftor, le manger qui rompt le jeûne de cette journée qui restera dans les esprits de certains, tumultueuse et pleine des clameurs de la bataille qui s’installa dans le quotidien des braves gens dont a parlé le goual. La lutte n’a jamais cessé, on continue à émigrer pour d’autres motifs que la foi, mais toujours et encore pour répondre à un rêve.

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